L’accord de paix entre séparatistes et forces gouvernementales dans le sud du Yémen reste lettre morte plus de deux mois après sa signature à Ryad, faisant craindre une reprise des hostilités entre ces anciens frères d’armes, selon des analystes.
Alliées dans le conflit contre les rebelles Houthis venus du Nord et soutenus par l’Iran, ces deux forces se sont affrontées en août 2019 pour le contrôle d’Aden, capitale temporaire du pays depuis la prise de Sanaa en 2014 par les insurgés.
Les forces gouvernementales souhaitent l’unité du pays et sont soutenues par l’Arabie saoudite, aux commandes d’une coalition militaire anti-Houthis depuis 2015, tandis que les combattants séparatistes issus du Conseil de transition du sud (STC) revendiquent l’indépendance du sud et ont été formés par les Emirats arabes unis.
Soucieux de préserver l’unité du camp antirebelles, Ryad a fait taire les armes en parrainant un accord de partage du pouvoir le 5 novembre.
Or aucune des dispositions de cet accord n’a jusqu’à présent été appliquée, hormis le retour du chef du gouvernement, Maïn Saïd, et de quatre ministres en novembre à Aden.
– “Trop ambitieux” –
Ni la désignation d’un nouveau gouverneur et d’un nouveau chef de la sécurité à Aden, ni le regroupement des armes lourdes sous l’autorité des Saoudiens n’ont eu lieu dans le délai de 15 jours suivant la signature de l’accord.
Un gouvernement national incluant des ministres du STC n’a pas non plus vu le jour dans un délai de 30 jours. Ni le placement des forces armées des deux camps sous l’autorité des ministères de la Défense et de l’Intérieur, prévu pour le 5 janvier.
“Le calendrier d’application de l’accord était trop ambitieux”, relève Farea al-Muslimi, chercheur associé au centre de recherche Chatham House.
Pour Elisabeth Kendall, spécialiste du Yémen à l’Université d’Oxford, une crise de confiance empêche les deux camps d’appliquer l’accord de bonne foi.
Ils “semblent avoir conclu l’accord à contrecœur, à la demande de leurs parrains”, Abou Dhabi et Ryad, estime Mme Kendall.
“Un manque total de confiance entre les deux parties, des délais d’application impossibles et des interprétations divergentes” minent, selon elle, cet arrangement.
En public, chaque camp souligne pourtant sa volonté de faire vivre l’accord.
Le chef du Conseil de transition du sud (STC), Aidarous al-Zoubeïdi, donne un discours le 13 janvier 2020 dans la ville yéménite Aden (sud) (AFP – Saleh Al-OBEIDI)
Le chef du STC, Aidarous al-Zoubeïdi, a affirmé lundi dans un discours à Aden son attachement à l’accord et accusé le gouvernement de ne pas avoir la volonté de l’appliquer.
Côté gouvernement, le conseiller présidentiel Ahmed ben Dagher a assuré la semaine dernière devant la presse à Ryad, où s’est exilé le chef de l’Etat Abd Rabbo Mansour Hadi, que malgré le retard, l’application de l’accord allait démarrer prochainement avec la nomination d’un gouverneur à Aden.
En dépit de ces déclarations d’intention, les spécialistes n’écartent pas le risque de nouvelles confrontations.
“Plus le temps passe et moins les gens auront confiance dans l’accord”, souligne Peter Salisbury, spécialiste du Yémen à l’International Crisis Group.
“Le risque actuel est qu’un incident quelconque conduise à un nouveau conflit (armé) entre le STC et le gouvernement”, prévient-il.
– “Peu d’espoir” –
Après de premiers affrontements en 2018 à Aden, la tension entre les deux camps a atteint son paroxysme en août, quand les forces “Cordon de sécurité”, l’une des unités du STC, se sont emparées d’Aden.
“La lutte contre le terrorisme” a été l’une des causes invoquées par les séparatistes pour prendre le contrôle de la ville. Ils avaient accusé auparavant le gouvernement de complicité dans deux attentats ayant fait 49 morts le 1er août dans leurs rangs.
De façon générale, “la sécurité et la stabilité du Yémen du Sud restent très précaires”, note Mme Kendall, signalant la poursuite d’affrontements entre différents protagonistes dans plusieurs points chauds, comme Chabwa et Abyane.
“Il reste peu d’espoir” pour parvenir l’application de l’arrangement, estime-t-elle.
D’après M. Muslimi, les Saoudiens doivent livrer un “effort diplomatique massif” pour sauver l’accord qu’ils ont sponsorisé.
Depuis 2015, le conflit entre les forces progouvernementales et les rebelles a fait des dizaines de milliers de morts au Yémen, la plupart des civils, selon diverses organisations humanitaires.
Environ 3,3 millions de personnes sont déplacées et 24,1 millions ont besoin d’assistance, selon l’ONU, évoquant la pire crise humanitaire au monde.