Pour Farea al-Muslimi, président du Sanaa Center for Strategic Studies, et chercheur associé à Chatham House Londres, toutes les parties intervenant au Yémen sont responsables du drame du pays.

Après avoir revendiqué les attaques contre les sites pétroliers saoudiens, faisant monter les tensions dans la région, les rebelles houthis du Yémen ont lancé vendredi une offre surprenante de cessez-le-feu et de dialogue avec l’Arabie Saoudite. Tentative sans lendemain alors que le conflit meurtrier se poursuit au Yémen, à la fois dans sa dimension de guerre civile et dans celle de confrontation régionale entre l’Iran et la coalition arabe, comme l’explique Farea al-Muslimi. Selon le président du Sanaa Center for Strategic Studies – un think tank disposant d’une équipe de chercheurs yéménites sur le terrain – «les Iraniens se fichent des Yéménites» et «les Saoudiens ne savent rien faire d’autre que jeter des bombes et du cash au Yémen».

Comment expliquez-vous l’offre des Houthis à l’Arabie Saoudite alors qu’ils avaient revendiqué l’attaque contre les sites pétroliers saoudiens ?

Ce n’est pas la première fois que les Houthis tentent d’attirer l’attention de l’Arabie Saoudite d’une façon ou d’une autre, que ce soit par une offre de paix ou par des actions offensives. Leur dernière proposition ne fera pas une grande différence d’abord parce que le vrai problème avec les Houthis c’est que leur guerre prioritaire, et qui a entraîné l’intervention saoudienne, est dirigée contre les Yéménites. Ils sont prêts à aller à Riyad et bien au-delà pour parler aux Saoudiens mais ils ne sont pas disposés à stopper leur agression contre la population. Même s’il y a une entente entre Houthis et Saoudiens, ce que je pense peu probable, le problème restera.

La revendication par les Houthis des attaques contre les installations pétrolières saoudiennes le 14 septembre vous paraît-elle crédible ?

Il est certain que les Houthis disposent de drones. Ils ne le cachent pas et ils en ont déjà utilisé pour de précédentes opérations. Mais je n’ai pas d’information précise sur les dernières attaques, si elles venaient d’Irak ou du Yémen et si elles ont été menées par drone ou autrement. Ce qui est clair c’est que les Houthis ont la capacité d’utiliser des drones et que l’Arabie Saoudite va profiter de l’occasion pour s’attaquer à nouveau au Yémen au nom de la défense des intérêts pétroliers du monde. De son côté, l’Iran n’a aucun problème à mettre en avant la responsabilité des Houthis et se fiche des Yéménites. Il mène sa guerre contre l’Arabie Saoudite sans qu’un seul Iranien ne soit tué. Autrement dit c’est le Yémen qui va encore payer le prix de cette confrontation.

Quelle est précisément l’ampleur du soutien politique et militaire que l’Iran apporte aux Houthis ?

Quel qu’il soit, il est de trop et destructif. On sait qu’il y a environ quatre-vingts conseillers iraniens sur le terrain à Sanaa et un nombre supérieur de conseillers du Hezbollah libanais. Les drones et les missiles balistiques livrés par l’Iran aux Houthis passent par Oman, sous le nez des forces de la coalition. Dans la tête d’Abdel Malek al-Houthi, le chef de la rébellion au nord Yémen, c’est Khamenei [le guide suprême de la révolution en Iran, ndlr] qui est son proxy et pas l’inverse. Plus sérieusement, on peut constater que les relations se resserrent de plus en plus ces derniers temps. L’Iran a admis la semaine dernière un ambassadeur du Yémen à Téhéran, nommé par les Houthis. Ces derniers se muent en un système mafieux, une milice détentrice d’un pouvoir bloquant au Yémen sur le modèle du Hezbollah libanais. Mais à supposer que l’Iran cesse son soutien aux Houthis, ils pourraient néanmoins rester en place cinq ans encore. En revanche si les Saoudiens retirent leur soutien au gouvernement Hadi, il s’écroulerait en 48 heures. En fait les Houthis se sont renforcés depuis le début de l’intervention de la coalition il y a quatre ans, profitant des erreurs et de la gestion déplorable du conflit par les Saoudiens.

Le ressentiment des Yéménites envers l’intervention saoudienne ne fait que grandir ?

C’est normal, parce que les Saoudiens s’y prennent comme celui qui bombarde une forêt pour tuer un serpent. Même les Yéménites qui pensaient que l’intervention de la coalition était justifiée ne peuvent croire que venir en aide au Yémen revient à le bombarder. Ces attaques font monter la colère et le ressentiment chez les gens et c’est très dangereux parce que les hommes se transforment alors en bêtes à long terme. Le plus grave c’est que les Saoudiens ne savent rien faire d’autre que jeter du cash en espérant noyer les problèmes. Ainsi, ils soutiennent le gouvernement totalement discrédité du président Abd Rabbu Mansour Hadi, reconnu comme légal par la communauté internationale, mais rejeté par les Yéménites parce que c’est l’homme le plus incapable et le plus corrompu de l’histoire récente du Yémen.

On s’éloigne donc de plus en plus d’une solution au conflit au Yémen ?

La guerre au Yémen a trois composantes essentielles. Il s’agit d’abord d’une guerre civile, puis d’une guerre par procuration – proxy – menée par les puissances extérieures et, en troisième lieu, de facteurs hérités de l’histoire récente du Yémen. En effet, pour comprendre les dimensions socio-économiques profondes de la guerre, il faut se souvenir qu’à l’époque du président Saleh [de 1978 à 2011] 86% des richesses du Yémen étaient détenues par dix familles du pays. Les inégalités et la corruption se sont accrues considérablement avec la montée en force des milices et l’argent venu de l’extérieur. En outre, il y a 68 millions d’armes légères en circulation entre les mains des Yéménites, et maintenant des armes lourdes sont envoyées par les pays soutenant les belligérants sur le terrain. En somme, avec les combats récents à Aden entre ex-alliés du Golfe et après les attaques contre les sites pétroliers saoudiens, je peux vous dire que les Iraniens sont ravis et peuvent manger du pop-corn en regardant Netflix pour célébrer leur victoire.

 

Cet article a été publié le Liberation.